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Le pauvre et le riche. Et le bourgeois.

Michael me disait il y a très peu de temps que l’humanité était à un croisement. Je crois, à vrai dire, que les croisements ont été nombreux jusqu’ici et que souvent c’est le chemin le plus sombre qui a été pris (mais à la discrète, par des petits ch’minounets qui n’ont pas paru bien graves sur le moment).

Pour vous le démontrer, j’ai envie de parler de terre, de légumes, de repas et de société ; vous allez voir…

Que mangeait-on en Europe au Moyen Age ? Le légume roi était le chou (produisant même en hiver, permettant des soupes et des potées) ; les légumineuses (pois, fèves, lentilles) le soutenaient ; les céréales sous forme de gruau et de pain complétaient l’ensemble. Lors de la soudure (mars – avril), la cueillette des plantes sauvages était habituelle.

Si je regarde aujourd’hui la manière de s’alimenter en France, je ne retrouve guère ces piliers de la vie médiévale. Est-ce à dire que tout était aberrant, pure bêtise d’un temps passé ? Pourtant, selon ce que j’ai lu sur l’alimentation, le trio légume – légumineuse – céréale est le choix le plus sain possible (beaucoup de peuples sont encore attachés à certaines associations : tofu et riz pour les asiatiques ; pois chiches et semoule de blé pour l’Afrique du Nord).

Mais alors que s’est-il passé ? Comment la viande en est-elle venue à trôner sur les tables * tous les jours de la semaine ? Comment se fait-il que les légumineuses soient déconsidérées au point de n’apparaître au menu que comme accompagnement et non comme ingrédient principal ? Qu’est-ce qui a fait que le sucre et la farine soient toujours blancs dans les productions alimentaires les plus courantes ? Pourquoi les personnes qui savent encore glaner pour manger sont-elles si peu nombreuses, même parmi la population la plus âgée ?

Vous savez sans doute que ces choix ont été faits, tout au début, par les classes les plus aisées** : Des légumes racines (panais, topinambours) ? Mais vous n’y pensez pas, mon bon, ils ont touché la terre ! Des légumineuses ? Allons donc, donnez-nous de la viande, du gibier (celui que l’on est allé tuer sur NOS terres). Des céréales ? Pourquoi notre pain serait-il de la même couleur et aussi râpeux que celui des gens du peuple ? Raffinez-le ! (Marie-Antoinette et sa brioche ont laissé des traces dans l’histoire culinaire). Et ainsi de suite…

Mais entre les aristocrates d’hier et la quasi-totalité de la population en France aujourd’hui, il y a un pas et c’est cela qui m’intéresse. Si seule une minorité avait continué à s’empiffrer de viande et de céréales raffinées, l’impact écologique n’aurait pas été bien grand et cette catégorie sociale, affaiblie physiquement, aurait peut-être même fini par disparaître.

Entre le peuple laborieux et les aristocrates qui les gouvernent, il y a la catégorie des bourgeois, habitant les bourgs bien sûr, s’enrichissant par le négoce et occupant des charges dites intellectuelles (notaires, avocats, juges, etc.). Or, ce qui catégorise la bourgeoisie, outre ses possessions , c’est sa « bonne volonté culturelle ». C’est un terme de Bourdieu qui désigne le désir de « faire comme », d’imiter les classes dirigeantes dans ses habitudes et ses goûts. Personnellement ça m’a servi à comprendre beaucoup d’aspects de la société comme le sport, l’enseignement de la littérature ou la langue.

Des exemples tout simples : les maisons aux portails faussement dorés (au bout de la rue de l’étang du cygne, tiens !) ; le fait de jouer au tennis (abandonné par les riches d’ailleurs, maintenant il faut faire du golf mais je crois qu’ils l’ont déjà abandonné aussi).

Ainsi, dans l’alimentation, la « bonne volonté  culturelle » pousse à l’imitation des habitudes alimentaires des plus aisés. L’esprit de bourgeoisie lorgnera donc vers les belles tables et incitera à adopter leurs mets. Allons-y donc pour la viande plusieurs fois par semaine, le pain blanc, les produits les plus compliqués !

Terminons avec ce qui s’appelle « l’embourgeoisement des masses » et on obtiendra une population se délectant de la nourriture la plus aberrante qui soit à mon sens : excessive (en sucre, sel, graisses), morte (venant de loin, pasteurisée, congelée), appauvrie (en goût, en texture, en nutriments).

Pourquoi parler de tout ça ? A vrai dire, je voulais parler de quelque chose de secret, de constant, qui n’est visible que grâce à la loupe des sociologues. J’en parle parce que plus nous serons conscients de ce qui est à l’oeuvre dans notre société, plus nous pourrons prendre du recul et proposer d’autres voies. J’ai aussi voulu éclairer le fait que notre assiette est déterminée par la société (c’est ce qu’explique Bourdieu : nos choix ne sont pas neutres) et je voudrais qu’aujourd’hui, à l’inverse, notre assiette influence la société.

Oui, c’est un acte difficile actuellement de s’alimenter (voir les 45 commentaires sur le très bon blog de Cléa) pour peu que l’on souhaite reprendre la main sur cet aspect essentiel de notre vie. Pour ma part, en cultivant nos légumes et nos fruits, en renouant avec une alimentation plus simple, j’éprouve du plaisir et de la force, j’ai l’impression de reprendre un peu de liberté et, peut-être, de donner un sens à ce croisement si déterminant qui se présente à nous.

* Les français consomment deux fois plus de viande que leurs grands-parents et trois fois plus que leurs arrière-grands-parents. (source : L’Age de faire numéro je sais pas combien mais vous pouvez me le demander plus tard).

** Article des 4 saisons du jardin bio sur l’alimentation médiévale; numéro 204, janvier – février 2014

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